Au nom des miens

Hassan Bourkia

28 December 2021 — 09 February 2022

CM Gallery

C’est avec un grand bonheur que le Comptoir des Mines accueille l’exposition maintes fois reportée de Hassan Bourkia, « Au Nom des miens », en ce début du mois de décembre.

Cette exposition que nous préparions depuis 2018 trouve aujourd’hui une forte résonance, suite aux moments d’incertitude que nous avons traversé ces derniers mois. Le confinement a, pour beaucoup d’entre nous, altéré notre faculté de mémoire, ensevelissant parfois nos souvenirs et nos pratiques quotidiennes sous un voile d’oubli. Ce voile est souvent commun à ceux qui ne jurent que par l’avenir et qui fuient pour certaines raisons leur passé.

Hassan Bourkia a beaucoup attendu avant de dévoiler un drame intime qui a fait de lui l’artiste et l’homme qu’il est aujourd’hui. Souvent suggérée dans ses précédentes œuvres, il a longtemps esquissé les pourtours de cette genèse sans en donner toutes les clefs.

La cendre, les brûlures et les débris calcinés n’ont jamais été des matériaux innocents au service de l’œuvre d’art. Ils peuplent l’univers de Hassan car ils font partie intégrante de sa propre histoire. Les cicatrices lisibles sur ses œuvres sont d’abord les siennes, inscrites dans sa mémoire, et l’oxydation apparente de certains matériaux est avant tout la métaphore qu’il utilise pour aborder l’altération de ses propres souvenirs.

« Il n’y a pas de plus difficiles constats que ceux subis dans sa propre chair comme une injustice du destin, et c’est dans le creux du corps que naît la révolte », aime dire Hassan.

La révolte de Hassan Bourkia s’exprime avant tout dans ses différentes pratiques artistiques pour combattre l’oubli qu’il redoute. Se souvenir, ne rien oublier, ne rien gâcher, l’invitent à travailler sans relâche à « l’amplification des mémoires », concept qu’il développe depuis plusieurs années. Accumulateur d’objets, il aime dénicher ceux qui portent l’altérité du temps et les fragments des âmes de leurs anciens propriétaires, pour constituer des « archives du sensible » ouvertes sur l’histoire et les sociétés.

Ses livres occupent une place prépondérante dans cet univers qu’il bâtit. Ils n’échappent pas à son obsession de récolte de témoignages et de philosophies d’auteurs très divers, qu’il s’agisse de poésie amoureuse ou des drames du monde. Sa bibliothèque en est d’ailleurs le reflet. Riche de plusieurs milliers d’ouvrages, elle projette l’artiste dans le récit des autres, ou fait naître chez lui un profond sentiment de communion avec leurs auteurs. Ses lectures l’entraînent de façon incessante vers les guerres de décolonisation, les camps de la mort, l’Irak et la Palestine, mais aussi les courants philosophiques, les expressions artistiques, les voyages et la poésie arabe. Entre ces extrêmes oscille le désir et le devoir de Hassan.

Edmond Amran El Maleh et Juan Goytisolo occupent une place à part dans sa vie et « son archive du sensible »: ils l’ont tous deux aidé à forger son engagement créatif.

Écrire lui est vital. Il ne cesse de noter, de griffonner à la main toutes sortes de choses qu’il aime saisir sur le vif, et il entretient avec ses amis écrivains et artistes de par le monde de longues correspondances aux sujets très étendus.

C’est le souffle de cette résistance qui a poussé Hassan Bourkia à devenir ce formidable assembleur qui, pour façonner son langage visuel, associe des matériaux « habités » aux écritures dans ses œuvres. Le travail de Hassan Bourkia se nourrit de son proche environnement d’abord, pour s’étendre et embrasser des contextes plus larges.

Il m’a fallu plusieurs années pour comprendre les passerelles qu’il établissait subtilement entre son histoire personnelle et celle du monde telle que compilée dans sa bibliothèque. Lors de ses récents projets à Buenos Aires, au Brésil et en France, cette dimension tendait à émerger de plus en plus, au point de devenir une direction à part entière dans ses recherches.

Notant dans son journal tous les détails de ses rencontres, de ses voyages, il enrichit quotidiennement « son archive » pour ne rien oublier de la force de chaque instant. Là est son sentiment de plénitude, dans la conservation et la transcription.

Hassan Bourkia ne redoute plus la main du destin. Il a appris à être son scribe et son archiviste pour embrasser et célébrer la vie qui s’offre à lui. Si cette philosophie est également très présente dans l’art contemporain occidental, Hassan, lui, l’a dépouillée du remords et du sentiment de la culpabilité.

« Au nom des miens » aborde la force et la capacité profonde de Hassan Bourkia à intégrer toutes ses rencontres, ses souvenirs, ses lectures et ses échanges dans sa personnalité et sa création. N’abandonnant aucune des phases de sa vie à l’oubli, il nous indique comment continuer à avancer malgré la main du destin car, « pour pardonner véritablement, il faut se souvenir toujours » Eugène Marbeau.

Hicham Daoudi
Introduction du catalogue de l’exposition « Au Nom des miens »

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