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Les corps sont moins proliférants et apparaissent moins abîmés. Les marques du sévice sont moins systématiques; le traitement plastique est moins rugueux, moins granuleux et acharné, moins porté sur l’inscription du stigmate sur la surface du corps.
Les insignes de la coercition exercent un ascendant moindre dans son œuvre : les sujets de sa peinture et de sa sculpture n’apparaissent plus autant cadastrés, irrémédiablement pris dans d’infrangibles cellules rectangulaires ou captifs de carcans géométriques sans issue possible. S’affirme chez eux, enfin, le désir de sortir du cadre.
Ces déplacements, parmi tant d’autres qu’il appartiendra à des critiques d’art plus compétents et exercés de recenser, se manifestent dans son travail récent, sans rupture ni point de bascule, dans une continuité ininterrompue. Se peut-il qu’ils aient longtemps été contenus dans l’œuvre à l’état de potentialités ou d’horizon possible ? Car, ni la férocité du trait, ni la fureur de la couleur qui donnait à cet univers aux dents acérées, chauffé par des tonalités caustiques, la coloration du drame violent, le jetait à la face du monde tout de feu et d’ocre et incandescent à n’en plus pouvoir, crépusculaire et rouge sang, où même le sang serait de peu de trace, et apparaissant ainsi comme une excroissance du plomb et de la blessure en personne et comme eux soigneusement tyrannisé ; enfin, ni les figures amputées et diminutives de l’empêchement ou du joug — impuissance des sans bras, immobilité des sans jambes —, ni les figures de l’astreinte et de l’enfermement, de la blessure et de la déchirure, ne semblent être porteuses de passions tenables ou d’un avenir inépuisable ; elles tendent plutôt vers un horizon. Et, comme ces personnages sculptés, prisonniers de cages ou de piliers massifs qui lentement les concassent, les enfoncent dans une forme de claustration où le temps est aboli — que serait la claustration sans cette dimension du temps qu’on étire et qu’on distend jusqu’à lui faire perdre toute cohérence, et jusqu’à l’abroger dans l’esprit du supplicié ; du temps qu’on inflige, comme catégorie du supplice ? —, où le déploiement de la volonté se heurte au rétrécissement de l’espace mesuré et à la compressibilité des possibles, il arrive que le désir d’un horizon différent s’ébauche dans l’œuvre : des gestes s’esquissent, une dépense d’énergie se fige dans le bronze ; des poings se serrent autour des barres, des bras poussent les hauts blocs, une volonté de s’arracher du carcan jaillit.
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Reda Zaireg
Texte extrait du catalogue de l’exposition Horizon Oblique