L’art de Fatiha Zemmouri est un rare exemple de la collaboration féconde entre le créateur et l’esthète exigeant, entre l’artiste et l’œil évaluateur qui l’habite. D’un projet à l’autre, la plasticienne mène un parcours où l’exercice artistique va de pair avec une constante réflexion autocritique, association qui assure une œuvre conjuguant la volonté d’audace à l’impératif de la mesure, le besoin de dépassement à un souci de cohérence. Depuis 1999, l’artiste multiplie les médiums comme ses expositions s’offrent sous des apparences très différentes de l’une à l’autre, mais l’ensemble affiche un solide dénominateur commun : un effet de santé ardente, d’infaillible maîtrise. Si les toiles, les installations ou les objets que façonne la plasticienne s’impriment aussi profondément dans la mémoire, c’est en raison de cette aura de prouesse qui les distingue : faire surgir autant d’esprit, de sensibilité et d’interrogations dans l’austérité de la matière.
Charbon, bois, céramique, porcelaine, métal… Un récit serait à écrire sur le rapport passionnel à la matière que cultive l’artiste dont l’ambition esthétique ne se départit jamais de l’écoute du dehors universel. Les expositions expriment une adhésion aux tourments du monde avec cette particularité que, chaque fois, le sujet ou l’événement invoque une matière différente. En effet, l’artiste tient comme ferment essentiel de son art cette adéquation entre « le propos, le geste et la matière ». Le travail montré à l’Institut des Cultures d’Islam dans le cadre de l’exposition « Zone franche » use de feuilles de tôle pour mettre en œuvre des cartes géographiques froissées qui donnent à lire le désenchantement provoqué par les murs érigés après la destruction du Mur de Berlin. La pierre géante exposée à la Biennale de Marrakech est déployée comme une métaphore de la psychose qui envahit une capitale européenne après une série d’insoutenables attentats terroristes. Quant à la dune de sable du projet « Réparer le monde », elle témoigne, à travers l’évocation du désert, de l’errance et du dépaysement des migrants. Dans les titres, les projets et les pièces ne nomment jamais les événements où ils ont pris naissance.
Youssef Wahboun
Texte extrait du catalogue de l’exposition.