Exposition : Mohamed Kacimi, peintre nomade et poète errant
Actuellement au Comptoir des Mines Galerie, une somptueuse invitation à la vie vagabonde et à l’œuvre brillantissime de Mohamed Kacimi, un peintre lucidement inquiet au point de remettre son art perpétuellement en question et de le faire baigner dans de lointaines et fécondes sources afin qu’il en recueille l’eau vive.
Il est des vocations qui, pour éclore, empruntent des chemins sinueux. Celle de Mohamed Kacimi pour l’art pictural jaillit dans le «sillage» quotidien d’un personnage excentrique. Muni de seaux gorgés de peinture noire, ce dernier arpentait d’un pas ferme rues et venelles de Meknès puis, s’arrêtant net devant une muraille, l’aspergeait de signes ésotériques. Intrigué, l’enfant Kacimi, qui s’attachait aux pas du curieux bonhomme, s’échinait vainement à percer le secret des inscriptions. C’est de cette fascinante inaccessibilité que, sans doute, naquit son penchant pour la peinture. Il avait à peine sept ans.
Depuis lors, il se trouvait irrésistiblement happé par les formes qui se déployaient et les couleurs qui s’étalaient. Aussi, passaitil le plus clair de son temps à observer les gestes de sa mère tissant un tapis, ou à poser son regard ébloui sur les signes portés par les objets usuels et transcrits avec un rare doigté par des artisans dont il ne se lassait pas de contempler la virtuosité. A dix-huit ans, Kacimi avait trouvé sa voie : la peinture. Rien ne l’en distraira, sinon la poésie, perçue non comme une activité distante, mais telle une complémentarité impérieuse.
Défiance envers les écoles et les courants
Si Kacimi, au fil de son parcours, a parfois accompagné tel ou tel groupe, il a le plus souvent bifurqué vers des sentiers solitaires. Moins par esprit de dissidence que par besoin d’éviter le confinement. De cette phobie de claustration provient son rejet viscéral de toute obédience à un système, à une école ou un courant. Au grand dam des catalogueurs patentés, qui se retrouvent désemparés face à ses fresques où s’estompe la commode opposition entre abstraction et figuration. Implacablement rebelle aux infertiles conventions, obstinément sourde aux appels des sirènes des modes tapageuses, la peinture de Kacimi affirme son unicité et impose, par son art de la matière et par le jeu subtil des transparences, sa profondeur. Elle est à nulle autre pareille.
Kacimi «jette des formes sur toile, images du corps, figures évanescentes qui incorporent la matière et suivent son rythme. A travers sa quête picturale, où s’efface toute opposition entre abstraction et figuration, signe et écriture, ligne et couleur, ces traces successives, énigmatiques évoquent les palimpsestes», écrit Brahim Alaoui en postface du livre Kacimi. Quant à Mostafa Chebbak, il trouve que «les silhouettes hommes qui hantent ses toiles sont épurées à l’extrême, réduites à l’essentiel : une présence spectrale dans un monde qui leur demeure hostile et étrange. Kacimi n’a jamais cessé de poser sur les humains un regard à la fois tendre et lucide. Sa peinture est mélancolique, sa poésie romantique, ses prises de position politiques toujours fidèles à une éthique de l’engagement qui nous manque cruellement aujourd’hui».
La peinture de Kacimi est celle du témoignage. Comment l’art pourraitil ignorer que nous vivons une époque formidable de haines, de guerres, d’injustices ? Le cynisme du constat froid n’étant pas sa tasse de thé, Kacimi a mis sa peinture au service de l’humanité souffrante. «Peintre de ‘l’infigurable’, son œuvre brise les limites entre abstraction et figuration. Ses peintures qui se caractérisent par les pigments naturels et des poudres denses, noires et colorées, s’accompagnent parfois de fragments de poèmes qui prolongent en un autre mode d’expression les méditations de l’artiste. Kacimi est le fondateur d’un courant de jeunes peintres qui sont à la recherche de nouvelles voies (extrait de la présentation de l’artiste par l’ambassade de France à Rabat).» Quelques œuvres de ce globe-trotter de la peinture marocaine (1942-2003), où formes, couleurs et matières vont à l’essentiel pour que plénitude et intensité riment avec interrogation et fascination, habillent les cimaises du Comptoir des Mines Galerie. L’exposition, «L’œuvre révélée», superbement montrée, savamment montée, a de quoi séduire les amoureux de la peinture. À croquer.
Par R. K. Houdaifa
Source : Finances News Hebdo