Kacimi, les années phares – Comptoir des Mines de Marrakech

Avec la rétrospective que lui consacre aujourd’hui le Comptoir des Mines de Marrakech, le peintre Mohammed Kacimi nous revient par la grande porte de l’art. Ambitieuse, l’exposition « L’œuvre révélée » se concentre sur les années 80 pendant lesquelles le travail de l’artiste atteint sans doute son apogée.

« Avec cette rétrospective, explique Hicham Daoudi, commissaire de l’exposition “L’œuvre révélée”, notre œil s’arrête sur les années 1979-1994, décisives dans la carrière du peintre. » Alors que la manifestation que lui consacra en 2018 le MUCEM, « Kacimi, Une transition africaine 1993- 2003 », s’était focalisée sur son ultime période créatrice, l’exposition d’aujourd’hui entend revisiter son parcours, à une époque où commençait à s’établir sa reconnaissance internationale, après sa participation en 1974 à la Biennale de Bagdad. En 1985 le peintre bénéficie d’une exposition personnelle à Grenoble et fait partie en 1988 des 4 artistes mis en avant dans une exposition de l’Institut du monde arabe, à Paris. « De notre côté, commente Hicham Daoudi, on regarde Kacimi à la moitié de sa carrière ».

Les premières salles de l’exposition, qui occupe les trois bâtiments du Comptoir des Mines, reviennent sur les années de « tentation géométrique » qui, selon les mots de l’artiste, caractérisent ses premières œuvres. Période qui coïncide avec sa participation active, aux côtés de Melehi ou Chabâa, à l’Association Marocaine des Arts Plastiques dont il fut l’un des membres fondateurs. Très vite, avec la série des Océanides s’affirme un premier style dans lequel Kacimi semble interroger ce qu’il définissait lui-même comme « le nœud abstrait de l’Islamisme ». Un geste calligraphique, beaucoup plus qu’une écriture calligraphiée, lui permet de combiner des motifs ondulatoires avec des figures de corps qui s’enlacent. Les salles dédiées à cette période couvrant les années 1979-1986 révèlent des œuvres inédites qui raviront sans doute un public n’ayant pas eu forcément connaissance de ces travaux. Kacimi est alors fasciné par le mythe de l’Atlantide, qu’il retrouvera dans une série postérieure non exposée ici, Atlassides, dont il imagine qu’elle garde la trace d’une civilisation perdue qu’il fantasme. « Il forge l’hypothèse d’un mouvement océanique, commente Hicham Daoudi, réfléchit à une autre forme de vie et à un monde qui ne se penserait plus selon les rapports Nord/Sud. Il est alors animé, poursuit le curateur, par le mythe d’une civilisation qui aurait précédé tous les grands empires ayant cherché à conquérir l’espace méditerranéen. » Une autre histoire de la Méditerranée et de l’Afrique l’anime alors qui conduira aux œuvres plus engagées des années 1990.

Mohammed Kacimi dans son atelier.

Humaniste et engagé
Ces années-là coïncident avec des prises de position courageuses contre notamment l’invasion de l’Irak par les États-Unis, « à une époque où cela était encore tabou au Maroc », commente Hicham Daoudi. La série des Marches ou celles des Traversées avaient aussi révélé le souci de l’artiste devant le sort qui était réservé aux migrants. Mais c’est avec la série Shéhérazade que Kacimi entre de plain-pied dans cette actualité qui lui est contemporaine. « C’est un tournant incroyable, s’enthousiasme le curateur, une révolution au Maroc. Pour la première fois, un artiste comprend que son art est le seul moyen d’expression permettant de dénoncer des injustices. »  L’artiste crée alors face à la déflagration en cours, et le curateur de s’extasier devant ces grandes toiles où cohabitent « l’orage de la destruction, la foudre qui s’abat du ciel, des colonnes verticales de palais détruits et des bâtiments éventrés.

La palette de couleurs devient plus sombre : au bleu cobalt succèdent un ocre tendant vers le gris et un noir chargé de toutes les tempêtes à venir. Mieux que tout autre peintre, Kacimi sait exprimer l’ambivalence de chaque couleur, à l’image de ce bleu nila qui lui était cher, couleur spirituelle par excellence, dont il disait « qu’un rien [pouvait le faire] basculer dans l’insupportable. »

Vue de l’exposition avec la série Shéhérazade.

S’il est plus compliqué de documenter la partie performative de son travail – qu’il s’agisse des Étendards montrés en 1985 sur la plage d’Harhoura, des Haïks de Marrakech ou des Oriflammes présentés en 1993 dans la ville de Limoges –, l’activisme de l’artiste qui n’hésita jamais à aller à la rencontre des spectateurs et à exposer dans l’espace public n’en est pas pour autant négligé. En témoignent des grands formats exposés dans le Hangar jouxtant le Comptoir des Mines, comme cette œuvre monumentale L’oracle des temps réalisée en 1996 à Bourges lors d’une performance et remontée pour l’occasion, ou la série de collages réalisée en 1993 pour l’Institut français de Rabat. Avec cet immense combine painting qu’est la Grotte des temps futurs, l’artiste prenait à rebours toutes les attentes des spectateurs en diversifiant ses techniques et en rendant hommage aux grandes figures de résistance du XXe siècle.

Un artiste universel
Gageons que cette exposition magnifique fera date pour la richesse des œuvres exposées et pour leur caractère souvent inédit. Il faudrait pouvoir dire aussi un mot de ces tondi (œuvres peintes de forme circulaire) sur feutrine ou sur goudron, d’une absolue beauté montrant la portée toujours subversive de cette peinture que Pierre Gaudibert, avec d’autres critiques, a souvent qualifié de « nomade » pour sa capacité « à sortir la toile de son cadre, [à] inventer des supports ». Il faudrait insister sur l’importance que le peintre accordait au corps, qu’il s’agisse de celui invisibilisé ou anonyme des migrants ou de celui plus voluptueux des femmes aimées dont les figures viennent hanter de nombreux tableaux. « On a l’impression, commente Hicham Daoudi, qu’il brise des tabous en montrant des corps qui s’accouplent et qui dansent comme une marée. » Mais on aimerait conclure sur le pari audacieux d’une exposition à contre-courant de l’air du temps, qui réussit à retisser les fils d’une histoire de la peinture encore méconnue et trop peu analysée. Ou comment « l’art arrive à revenir par la grande porte, poursuit le curateur, quand d’autres préfèrent se contenter de spéculer. » Du très grand Art !

Par Olivier Rachet
Source : Diptyk Magazine

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